Ma vie dans la supérette

Voilà une bouffée d’air frais venue tout droit de Corée du Sud où le comique de situation vous conquerra vous aussi à travers quatre peintures d’un quotidien fort en émotions… Comme la collection l’indique, ce titre est composé de quatre micro-fictions qui m’ont toutes bluffée. N’ayant jamais entendu parler de l’éditeur, j’ai été alléchée par une quatrième de couverture totalement intrigante : Relation hilarante avec les directeurs des supérettes de son quartier, papotage insignifiant avec une vieille connaissance qui prend la narratrice au piège de son babillage, relation tendre et absurde entre un fils et un père, un premier amour narré par un père à son fils […]

Et la première micro-fiction m’a complètement conquise jusqu’à me faire rire pour de bon. Tout d’abord parce que la narratrice a l’air d’avoir une personnalité formidable et que quelque part son auto-analyse est plus que fondée et fondante (croustillante à souhait, la preuve suit).

J’aime à me montrer brillante mais qu’un autre que moi pétille d’esprit et j’en conçois immédiatement du ressentiment à son encontre. […]
Mon aisance est au zénith quand mon auditoire succombe à ma séduction. Je suis économe de préjugés mais je conserve ceux que j’ai acquis, même lorsqu’ils me portent tort.
(p. 10)

Je suis mon premier amour. De la liste des livres incontournables qu’il faut avoir lus, j’occupe le premier rang […] (p. 11)

C’est que cette même narratrice est « piégée » par une jeune femme qui la reconnait et croit partager des souvenirs communs. Vous est-il déjà arrivé de rencontrer quelqu’un qui vous reconnait et de ne pas réussir à le resituer ? De ce long moment de solitude, succède un autre moment, celui-là de mensonge pour « plaire » à l’étranger qui se croit familier. Un vrai jeu de dupes et c’est jubilatoire au possible.

Je ne me souvenais ni d’elle, de Ji-eun, ni de Myung-hwa, ni de Seon-mi, mais du coup, j’avais le sentiment qu’il fallait mentir. Et une fois décidée, je voulais mentir sincèrement. (p. 16)

Je ne veux pas trop en dire car ce sont des micro-fictions, autant dire que les gags se situent au niveau des situations, racontés brièvement mais croqués avec succès. De la description du passage au supermarché, à la rencontre fortuite dans le métro, ou des voisins fantômes qui sèment leur linge comme des empreintes indélébiles… tout est tordant et plein de vivacité !

A lire avec plaisir pour découvrir un pan de la société sud-coréenne et toutes ces confusions qui sont communes à tous les hommes et nous font tomber d’un piédestal ! Très, très belle découverte !

Ma vie dans la supérette / Kim Ae-ran ; trad. de Kim Hye-gyong & Jean-Claude de Crescenzo (Descrescenzo, 2013, 96 p., coll. Micro-fictions)

Dharma poèmes

Quelle tâche périlleuse que de commenter un recueil de poèmes, d’autant plus quand il s’agit de poèmes à forte inspiration orientale et qui sont donc bien loin de notre schéma de pensée habituel !

Il est dit en quatrième de couverture que la poésie coréenne est fort mal connue en France. Je le confirme car jusque-là je n’avais même jamais abordé la poésie asiatique. Et ce recueil très coloré s’est révélé une invitation au voyage très appréciée et plus exactement une pause zen au milieu des préoccupations urbaines.

C’est effectivement une succession de petits textes, tous plus dépaysants les uns que les autres qui nous proposent un autre aspect de la nature, une autre vision du monde dans une sorte de quiétude méditative.

Citons par exemple le début de la première strophe du poème « En buvant le thé » (p. 40) :

Je vous accepte dans mon intérieur.
Vos inspirations, vos prunelles, votre parfum
Me remplissent pleinement.

La lecture de ces poèmes est comme un apaisement. On s’évade avec le poète dans le lointain Orient, on progresse au gré de son imagination, au fil de ses digressions et on apprécie le voyage.

Pour ma part j’ai été davantage touchée par le poème « En écoutant une cloche » (p. 56) qui évoque l’installation d’une cloche dans un appartement. Sauf que la cloche fait sa silencieuse, elle reste dans un demi-son et laisse présager d’un passé où peut-être elle se balançait solennellement. J’ai trouvé le parallèle entre ce présent, où la cloche est confinée dans un petit espace, et le passé où elle tintait selon ses envies, vraiment touchant car le vocabulaire permet de manière saisissante de se figurer la relique. Et on croit entendre au loin le doux écho d’une cloche échouée…

J’ai oublié de signaler que le recueil était ponctué de calligraphies dessinées par le fils du poète, Park Jino. Peut-être l’ai-je oublié car elles m’ont plus fait penser à des illustrations d’ouvrages de botanique qu’à des représentations subjectives de l’art poétique coréen. J’ai tenté de me représenter les diverses plantes sous d’autres aspects mais j’avoue ne pas avoir été touchée par les dessins. Ce sera je crois le seul bémol que j’aurais à reprocher à ce petit recueil.

En somme, c’est un ouvrage qui propose à coût réduit une escapade vers la Corée et ses courants de pensée. Pour qui rechigne à lire de la poésie je pense que Dharma poèmes peut être un bon compromis car il allie un vocabulaire simple et sans artifices à la beauté d’un ailleurs inconnu.

Les critiques sont d’ailleurs très élogieuses et on sent que le recueil en a transporté plus d’une comme vous pourrez le constater chez Pascale ou Tinusia.

Ainsi donc, pour la ballade langagière, pour cette belle virée poétique, je tiens à remercier et les éditions Sombres Rets.

Dharma poèmes / Park Je-chun ; traduction d’Antoine Coppola et Ko Chang-Soo (Ed. Sombres Rets, 2009, 75 p.)

Essais de micro

Né en 1971 à Taipei, fils aîné de Hwang Chun-ming, dont Actes Sud a publié Le Gong, Huang Kuo-chun s’est suicidé en juin 2003, en laissant derrière lui cinq volumes, dont deux posthumes : trois recueils de nouvelles, un roman inachevé et un recueil de textes en prose.

Dans ce recueil, c’est toute une société de consommation qui est passée au crible. A travers une série de saynètes où transparait un humour chargé d’absurde et d’incongruité, on explore le Taipei moderne. Et on a droit à des mises en scène qui pourraient faire de bien bons petits téléfilms pour la télévision.
Entre un cafard amoureux, un mannequin en plastique qui prend vie, un micro-ondes doté de la parole, c’est tout un univers qui s’esquisse. On croirait filer dans le non-sens mais ce n’est qu’une ficelle permettant à l’écrivain de pointer les absurdités de la vie.
On sent l’auteur désabusé et réaliste sur les travers qu’engendre la superproduction des médias. Ce livre donne l’impression de toujours rester en amont pour voir de loin tous les vices de la société actuelle. C’est un melting-pot de mélancolie, de lucidité et le résultat est porteur : on vogue sur les eaux salées à la recherche d’horizons moins campés dans l’illusion.

Je ne vous livrerai qu’une phrase qui me semble illustrer à merveille les traits de génie de l’auteur. Le livre en est bourré !
Quand tu as envie de pleurer, va-t’en couper des oignons dans la cuisine (p. 80)

Voilà qui est fort réjouissant pour ce roman tout droit échappé d’un Taïwan plongé dans une sorte d’univers kafkaïen. Il n’a l’air de rien ce livre car il n’a pas fait grand bruit mais moi j’ai envie de le mettre en lumière. Enjoy !

Essais de micro – Huang Kuo-chun ; traduction d’Esther Lin et Angel Pino (Actes Sud, 2009, 183 p.)